La face cachée « des catalyseurs »

Comme toute réaction chimique, la saponification est soumise à de nombreuses variables. La température de travail, la concentration de la lessive de soude et le profil en acides gras de la formulation sont déterminants pour maîtriser la vitesse de réaction et éviter la survenue d’une trace rapide. De plus, il faudra prendre en compte tout une série d’ajouts susceptibles de la catalyser. Si la mauvaise réputation de certains n’est plus à faire, d’autres cachent bien leur jeu…

Nous savons tous que l’huile et l’eau ne se mélangent pas car leur nature chimique ne leur permette pas de se dissoudre l’une dans l’autre. Après agitation, on obtient une émulsion trouble qui se sépare à nouveau après une période de repos, les fines gouttelettes d’huile dispersées finissant par se regrouper et flotter en surface. L’ajout d’un émulsifiant pour la fabrication de crèmes DIY par exemple ou encore l’effet tensioactif des molécules de savon empêchent les gouttelettes d’huile de fusionner à nouveau. Elles se retrouvent en suspension sous forme de micelles dans un mélange stabilisé appelé « colloïde ».

Lorsque nous ajoutons la lessive de soude aux corps gras, les deux phases sont clairement visibles mais au fur et à mesure du mélange, les triglycérides se dispersent en gouttelettes et l’émulsion devient crémeuse. Sous l’impulsion de l’ion OH qui libèrent les acides gras, les premières molécules de savon se forment. Comme nous venons de le voir, ce sont des tensioactifs et elles vont donc stabiliser l’émulsion. A ce stade, le mélange colloïdale obtenu évite le phénomène de déphasage. En poursuivant le mélange, de plus en plus d’acides gras se transforment en molécules de savon. Le colloïde s’épaissit et on en arrive à l’état de trace reconnaissable par l’empreinte laissée dans la pâte à savon. Ni trop liquide ni trop épaisse, c’est le moment idéal pour faire ses ajouts et moulé son savon en toute sérénité… Sauf que sans en avoir conscience, de nombreux composants peuvent précipiter la réaction de saponification vous laissant dans le plus complet désarroi…

De la simple accélération de la trace à la saisie immédiate de la pâte à savon, de nombreuses molécules odorantes qui composent tant les fragrances cosmétiques que les huiles essentielles peuvent en être responsables. Partageant la même formule chimique quelle qu’en soit l’origine, ces molécules odorantes ont un petit point commun avec les sucres ou encore l’alcool bien connus pour accélérer le processus de saponification. Toute leur force de frappe est liée à la présence du groupe hydroxyle -OH aux propriétés similaires à celles des molécules de savon qui favorise et stabilise l’émulsion entraînant une réaction en chaine d’autant plus spectaculaire lorsqu’elles sont cumulées.

Pour peu que l’on dispose d’une « documentation adéquate », Il est possible de repérer assez facilement les composants qui sont susceptibles d’en être dotés par simple moyen mnémotechnique car leur nom se termine par -ol ou ont un nom composé commençant par alcool. A noter également que bon nombre de ces molécules sont des allergènes potentiels et sont donc soumises à déclaration obligatoire. En consultant les fiches de sécurité et les déclarations d’allergènes qui devraient être disponibles et à jour autant que possible sur les sites de vente en ligne, on peut déjà se faire une idée de leur comportement en y repérant quelques unes de ces molécules problématiques.

En prenant pour référence les composants aromatiques des huiles essentielles, on se rend compte, à quelques exceptions près, que les molécules qui possèdent cette ramification -OH appartiennent en fait à deux grandes familles. La première, celle des phénols avec comme chef de file, l’eugénol (HE de clou de girofle, HE de cannelle de Ceylan) qui ne se contente pas juste de favoriser l’émulsion mais réagit presque instantanément avec la soude caustique pour former l’eugénolate de sodium. Moins connus, on y retrouve le thymol (HE de thym CT thymol), le carvacrol (HE d’origan compact, HE de sarriette des montagnes, HE de thym CT carvacrol), le chavicol (HE de basilic exotique) ou encore le gaïacol (HE de bois de Gaïac), l’isoeugénol et le crésol.

La deuxième grande famille elle-même divisée en deux sous-groupes est celle des terpénols également connus sous le nom d’alcools terpéniques. Chez les monoterpénols, il y a le linalol (HE de bois de Hô, HE de thym CT linalol), le géraniol (HE de palmarosa, HE de géranium rosat), le thujanol (HE de marjolaine à coquilles, HE de thym CT thujanol), le menthol (HE de menthe poivrée, HE de menthe des champs), le citronnellol (HE de géranium rosat, HE de citronnelle de java), le terpinène 1 ol 4 (HE de tea tree), etc. Chez les sesquiterpénols, on peut citer le nérolidol (HE de petitgrain bigarade, HE de néroli), le patchoulol (HE de patchouli), le farnésol (HE de camomille noble), le cédrol (HE de cyprès de Provence), etc. On peut y ajouter l’alcool anisique, l’alcool benzylique ainsi que l’alcool cinnamique par exemple. La liste est loin d’être complète car il y en a qui se cachent dans d’autres familles comme le salicylate de méthyle et ceux qui essaye de passer incognito comme la vanilline.

Si tant Les huiles essentielles que les fragrances cosmétiques florales ou épicées sont réputées pour provoquer une accélération de la trace, on peut dire que ça n’a rien d’étonnant au vu des composés odorants que je viens d’énumérer… Voilà une part non négligeable des grands coupables de nos nombreux déboires sans oublier tous les autres sinon ça ne serait pas comique: l’alcool qui peut servir de solvant, les glucides communément appelés sucres, l’acide ricinoléique, acide gras majoritaire de la bien connue huile de ricin ou encore l’acide férulique que l’on retrouve dans l’huile de son de riz, tous possèdent ce fameux groupe hydroxyle qui nous donne tant de fil à retordre!

Vous trouverez de multiples informations relatives aux matières premières utilisées en parfumerie sur le site « Scentree » accessible ici en version française. Cette plateforme collaborative, gratuite et réservée au grand public vous sera d’une grande aide car la formule chimique de tous les composants y apparaît. Par facilité, vous pouvez utiliser le numéro CAS (CAS number ou CAS registry number en anglais) qui évite les erreurs d’identification car de nombreuses substances chimiques peuvent être connues sous différents noms. Numéro d’enregistrement unique attribué par le Chemical Abstracts Service, une division de l’American Chemical Society, on peut le considérer comme le «numéro de sécurité sociale» de toute substance chimique.

Pour éviter de se retrouver aussi « figé » que sa pâte à savon, il n’y a aucune obligation à attendre la trace pour faire ses ajouts. Tout peut être incorporé aux corps gras avant l’ajout de la lessive de soude. Il est également recommandé de ne pas utiliser le mixeur plongeant à outrance. Deux ou trois petites impulsions suffissent parfois amplement pour uniformiser le mélange. Continuez ensuite à la spatule ou au fouet jusqu’à ce que la pâte à savon atteigne la consistance souhaitée…

J’espère que ces quelques informations et conseils vous seront utiles et pourront vous éviter à l’avenir le fameux moulage à la truelle…

En attendant de vous retrouvez, bullez bien… Soyez prudent et prenez soin de vous!…

Bibliographie

Dominique Baudoux, « Les cahiers pratiques d’aromathérapie selon l’école française », édition Inspir S.A., 2006

Michel Faucon, « Traité d’aromathérapie scientifique et médicale », éditions Sang de la Terre, 2015

Pierre Franchomme, Daniel Pénoël, « L’aromathérapie exactement », éditions Roger Jollois, 2001

Kevin M. Dunn, « Scientific Soapmaking », Clavicule Press, 2010

Robert Tisserand, Rodney Young, « Essential Oil Safety », deuxième édition, Churchill Livingstone Elsevier, 2014

Kevin M. Dunn, « Alcoholic Synonymous », Wholesale Supplies Plus, 2016

Kevin M. Dunn, « Carpe Saponem I », Wholesale Supplies Plus, 2017

Kevin M. Dunn, « Carpe Saponem II », Wholesale Supplies Plus, 2017

Kevin M. Dunn, « Vanilla browning in cold process soap », Wholesale Supplies Plus, 2016

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