D’une importance capitale en saponification, le surgraissage fait référence au surplus de matière grasse qui reste dans le savon quand la réaction est terminée.
Cette pratique vise deux objectifs:
- Conférer au savon son caractère émollient et hydratant car par nature, il est asséchant. De par ses propriétés détergentes, il va lors de la toilette dissoudre la graisse constituant le film hydrolipidique qui recouvre la peau et l’entraîner dans l’eau avec les impuretés qu’elle contient. Ce film protecteur de surface lui permettant de maintenir son hydratation et la protégeant des agressions extérieures risque d’en être fragilisé. La présence d’huiles non saponifiées ainsi que la glycérine naturellement formée lors du processus permet d’en limiter le dessèchement et facilitera la reconstitution du film hydrolipidique.
- S’assurer que le produit fini ne contient plus de trace de soude et qu’il ne sera pas caustique…
Cela mérite que l’on s’y attarde un peu…
Pour rappel, la saponification est une réaction lente et complète qui se produit jusqu’à épuisement total de l’un ou l’autre des constituants présents et chaque corps gras a une composition spécifique en acides gras…
C’est ici qu’entre en jeu le fameux « indice de saponification ». Découvert par le chimiste français Michel-Eugène Chevreul lors de ses travaux sur les corps gras d’origine animale et également appelé indice SAP ou valeur SAP, il exprime en milligrammes la masse d’hydroxyde de potassium (KOH) nécessaire pour neutraliser les acides gras libres et saponifier les acides gras estérifiés contenus dans un gramme de matière grasse. Chaque corps gras aura donc le sien et sera donc différent. En clair, la quantité d’alcali nécessaire pour saponifier 1000 g d’huile d’olive ne sera pas la même que pour saponifier 1000 g d’huile de coco.
Autre notion à prendre en compte et non des moindres, il s’agit d’un indice moyen. Même si le profil en acides gras est caractéristique de chaque type de corps gras, les quantités peuvent varier quelque peu. Pour connaître l’indice SAP exact des corps gras que nous utilisons, il faudrait les faire analyser… Ce qui n’est pas vraiment possible!!!… Par sécurité, un surgraissage de 5% est recommandé pour que chaque molécule de soude puisse se combiner avec une molécule d’acide gras.
Il existe deux façons d’obtenir un savon sugras qui peuvent être utilisées séparément ou combinées. La première appelée réduction de soude consiste à déduire un certain pourcentage de soude dès la formulation de base. La deuxième est le surgraissage à la trace qui consiste à ajouter une ou plusieurs matières grasses avant de mouler le savon.
Quelle que soit la méthode choisie, un surgraissage de 5 à 12% est conseillé pour un savon de toilette. Au-delà, le savon risque d’être trop gras, poisseux, trop mou et plus sensible au rancissement, il se conservera moins longtemps. Cas particulier de l’huile de coco… Pour compenser l’aspect desséchant et la dureté qu’elle confère au savon si elle est utilisée en grande quantité, il faudra en augmenter le surgraissage.
Mythe et réalité… Le surgraissage à la trace prisé pour l’ajout d’huiles précieuses présuppose qu’elles vont se retrouver intactes et constitueront le surplus d’huiles insaponifiées contenu dans le savon…. Sachant que (et là, je me répète encore) la saponification est une réaction lente, que l’ajout de solution de soude permet aux premières molécules de savon de se former et qu’elle ne sera en aucun cas complète au moment de la trace, il est vraiment difficile d’y croire. On estime d’ailleurs que seul 35% des huiles sont saponifiées au moment du moulage de la pâte à savon et je doute aussi que les molécules de soude aient des capteurs intelligents pour différencier les huiles rajoutées à la trace des autres…
Pour vous éclairer sur ce sujet ô combien controversé, je vous invite à lire le compte-rendu d’expériences menées par le professeur Kevin M. Dunn avec ses élèves ici (malheureusement en anglais) qui conclut que l’ordre dans lequel les corps gras sont ajoutés n’a pas d’influence significative sur le savon et que les molécules de soude réagissent plus ou moins vite selon le type d’acides gras à sa disposition.
Si malgré ces quelques considérations, vous optez quand même pour le surgraissage à la trace, il faut garder à l’esprit que personne n’est à l’abri d’oubli et avec une formulation de base < 5% de surgras, le savon risque d’être caustique et inutilisable pour votre toilette. De plus, il faut prendre en compte dès le départ les ajouts de corps gras pour pouvoir calculer avec précision la quantité de soude à utiliser pour un taux de surgraissage que vous aurez défini…
Une petite explication s’impose… Admettons que vous vouliez faire un batch avec 350g d’huile d’olive et 15Og d’huile de coco sans surgraissage au préalable et 10% de beurre de karité à la trace soit 50g pour un surgraissage théorique de 10%.
Commençons par calculer la quantité de soude nécessaire à la saponification de l’huile d’olive et de coco sans aucun surgraissage…
Et ensuite, celle nécessaire en introduisant pour le calcul, le beurre de karité avec un taux de surgraissage de 10%…
Il me semble inutile d’épiloguer plus longtemps sur le sujet tant son imprécision ne fait aucun doute car non seulement le taux de surgraissage ne sera effectivement pas de 10% avec 74,90g de NaOH et le beurre de karité ajouté ne représentera plus que 9,09% du poids total des corps gras…
Je pense vous avoir assez bassiné les oreilles avec tous ces détails. Faites vos propres expériences et adoptez ce qui au final vous convient le mieux… Mais comme le dit si bien l’adage, « un homme averti en vaut deux »…
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